A l’aube de la cinquantaine, Kay et Cyril, respectivement assistante sociale et médecin, se préparent à profiter enfin de la vie. Leurs enfants sont adultes et plus ou moins autonomes, et les travaux de leur grande maison presque terminés.
Lors du décès de son père, qu’elle a accompagné dans la maladie d’Alzheimer, Kay partage avec son mari son ressenti à propos de la lente dégradation physique et cognitive de celui-ci, et des conséquences douloureuses qu’elle a produit sur elle et sur sa mère. S’ensuit une soirée un peu trop arrosée, où la discussion les entraîne vers la question de leur propre vieillesse. Cyril travaille dans un hôpital public et se sent très concerné par le financement des soins de santé. Pour ne pas faire peser sur la société et sur leurs proches le prix de leur éventuelle déchéance physique ou intellectuelle, il propose à son épouse de se suicider à quatre-vingts ans. Durant les chapitres qui suivent, l’autrice va développer douze déclinaisons différentes de leurs vieux jours.
Avec une légèreté toute relative, Lionel Shriver questionne le regard que notre société porte sur le grand âge, regard qui entretient largement nos idéaux du bien vieillir, du bien mourir.
« Vieillir comme ça, pas pour moi ! », « Plutôt mourir que devenir dépendant », ou encore « Je ne veux pas devenir une charge pour mes enfants »… Nous sommes souvent pris dans ces affirmations, mais peut-être que le moment venu, notre attrait pour la vie nous amènera, nous aussi, à revoir nos grandes théories…
Par: Isabelle Docquier, Coordinatrice au sein de PalliaLiège
Les propos repris ci-dessus n'engagent la responsabilité que de l'auteur de cette critique.
Extrait
C’est ce que tout le monde pense, répliqua Kay d’un air sombre en posant les pieds sur la chaise qui lui faisait face. Chacun pense être une exception. Tout le monde voit ce qui arrive aux vieilles personnes et jure que ça ne lui arrivera jamais. Les gens disent qu’ils ne le toléreront pas, qu’ils ont des exigences et qu’ils mettent leur qualité de vie au-dessus de tout. Soi-disant ils trouveront le moyen de vieillir dans la dignité. Si d’aventure ils devaient mourir (même si la plupart sont persuadés qu’ils ne mourront jamais), ils se montreront sages, chaleureux, drôles et lucides jusqu’à la dernière minute, entourés de leurs amis et d’une famille débordant de tendresse. Chacun pense avoir trop d’amour-propre pour laisser un inconnu faire sa toilette intime ou être emprisonné dans un hospice aseptisé et impersonnel ou dégoutant et impersonnel, au choix. Puis il se trouve que, oh, surprise, les gens sont exactement comme tout le monde ! Ils tombent en décrépitude comme tout le monde et finissent tristement leur vie comme tout le monde (…) Certes, mon père était jadis élégant et cultivé. Si, à l’époque, une cartomancienne lui avait laissé entrevoir ce à quoi sa vie ressemblerait lorsqu’il aurait quatre-vingt-dix ans, c’est-à-dire fuir sa femme qu’il pensait être un agent des services secrets tout en macérant dans ses excréments, tu ne crois pas qu’il lui aurait dit qu’il préférait mourir ?