COUP DE COEUR

Le tout dernier été

BERT Anne
Livre
Adulte
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La critique

A l’automne 2017, le monde littéraire bruissait tout à coup d’une bien triste nouvelle : l’écrivaine française Anne Bert décédait d’une euthanasie pratiquée dans le service de soins palliatifs d’un hôpital belge.

Un choix de fin de vie que l’auteure avait pleinement revendiqué de son vivant, (diagnostiquée SLA en septembre 2015, Anne Bert avait rendu public son diagnostic quelques mois plus tard, et s’était d’emblée résolument positionnée en faveur de l’euthanasie et du « droit de choisir sa fin de vie », notamment en rédigeant une lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle française), et qui n’a évidemment pas manqué de susciter le débat, tant médiatique que sociétal.

Mais s’il évoque bien le cheminement qui aura conduit Anne Bert à cette décision résolue, on aurait toutefois tort de résumer ce Tout dernier été à une sorte de brûlot pro-euthanasie… A la fois âpre et lumineux, ce roman est d’abord et avant tout un témoignage singulier et percutant sur le vécu d’une maladie dont les conséquences restent difficilement concevables tant qu’elles ne sont pas intimement éprouvées.

Meurtrie dans sa chair, Anne Bert réussit à mettre en mots l’indicible, et choisit de ne rien cacher de cette maladie qui la « fiche à poil » et promet de la laisser vaincue, terrassée et anéantie, sans aucun espoir de guérison. 

Car voilà ce que fait la SLA : elle accable celui ou celle qui s’en trouve atteint(e) de la révélation de sa fin prochaine et de la certitude que son corps va peu à peu l’abandonner, jusqu’à en devenir hostile. Elle emmure celui ou celle qui en souffre vivant dans son propre corps. Elle fait du malade "un oiseau dans sa cage forcé de penser à sa mort", et de sa vie une liste interminable de renoncements : l’intégrité physique bien sûr, et l’autonomie, mais aussi les projets, les envies, les rêves, les petits-enfants que l’on ne verra pas grandir…

Alors en attendant l’inéluctable, et parce que ce temps qui reste ne peut définitivement pas être que celui de la colère et de la révolte, pas plus qu’uniquement celui de la résignation et de l’abandon, il s’agit alors de découvrir « le goût des dernières fois » et du détachement, de chérir chaque jour passé parce qu’il n’aura pas été le dernier, de transmettre et de dire au revoir dignement, et de faire "le pari de la joie malgré le chagrin".

Paru le 4 octobre 2017, soit deux jours après le décès de son auteure, ce Tout dernier été est donc le récit d’une ultime saison passée par Anne Bert auprès des siens et sur ses terres. La chronique d’une mort annoncée tout autant qu’un témoignage révolté, mais aussi et surtout une "ode à la splendeur du monde" que l’auteure se préparait à quitter, résolue, digne et debout, jusqu’au bout.


Par: Sandra Hastir, Coordinatrice de l'Association des Soins palliatifs en Province de Namur
Les propos repris ci-dessus n'engagent la responsabilité que de l'auteur de cette critique.

Extrait

Je ne veux pas de ce triangle : lui et Charcot, contre moi. Mon corps est un vendu, un agent de la SLA. C’est toute ma vie qui bascule.

Je vais bien mourir, oui, puisque j’ai tiré la mauvaise pioche, mais pas en le regardant œuvrer complaisamment à cette mort. Je ne veux plus de lui et accorde désormais à ce traître le minimum vital. Non pas parce qu’il est moins beau, ou différent et inutile, mais parce que nous ne sommes plus complices.

Je me fiche de sa beauté ou de sa mocheté. Pendant ces quelques mois qu’il me reste à vivre, je veux des muscles en mouvement. Je veux pouvoir marcher encore, jusqu’au bout du monde.

J’aimais tant plier mes bras, mes jambes. Ma gestuelle était aussi un langage, celui de mon cœur, celui de ma féminité, celui de mon inconscient. (…) Mes yeux regardaient le monde et le corps l’éprouvait.



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