COUP DE COEUR

Au bonheur des morts

Récits de ceux qui restent

DESPRET Vinciane
Livre
Adulte
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La critique

Vinciane Despret est philosophe et psychologue. Elle a l’habitude de pousser des questionnements jusqu’aux limites : les relations entre les hommes et les animaux, l’ethnopsychologie des émotions… Cette fois, elle s’est interrogée sur les manières dont les personnes restent en lien avec leurs défunts. 

Très rapidement, elle a réalisé que lorsqu’elle parlait de son sujet, les gens avaient des tonnes d’histoires à partager. Elle a alors décidé de se laisser guider par ces récits, et de suivre tous les conseils qu’on lui donnait (lire un livre, regarder un film, aller voir une voyante…). Elle s’est laissée instruire par ces histoires qui se sont connectées les unes aux autres de manière à former une toile. C’est bien la particularité de ces histoires : elles font bouger. 

C’est ainsi qu’elle a récolté de nombreux récits de « ceux qui restent », qu’elle nous partage. 

« J’ai une amie qui continue à porter les chaussures de sa grand-mère afin qu’elle continue à arpenter le monde. Chaque année, à l’anniversaire de son épouse défunte, un de mes proches prépare le plat qu’elle préférait. Une jeune femme enceinte raconte que la veille de sa première échographie, son père est venu dans son rêve lui dire qu’il était heureux que ce soit un garçon. Et c’était bien un garçon... ». 

L’idée que les morts sont vraiment morts, est à la fois récente et minoritaire dans le monde. 

Notre époque se caractérise par la lutte contre les croyances religieuses, la laïcisation de la médecine, de la psychiatrie et du rapport aux défunts. 

Le deuil est devenu comme une sorte de norme prescrite et imposée avec comme effet de « discipliner les différences » et « discipliner l’irrationalité ».  Celui qui continue à entretenir des relations avec un proche après sa mort est perçu comme quelqu’un qui ne fait pas son deuil correctement. Le mort n’a d’autre rôle à jouer que celui de se faire oublier, et les vivants ont à détacher les liens avec les disparus. 

Plus l’injonction de rationalité est forte dans une culture, et moins les morts se font entendre. Les capacités des gens à se rendre disponibles à des signes, sont amoindries. 

Or de nombreuses personnes continuent à entretenir des liens avec leurs morts, de manière parfois tout à fait créative. Cela demande une « disponibilité » qui n’a pas grand chose à voir avec un « travail de deuil.

Les morts donnent un signe de leur présence, prodiguent un conseil dans un rêve, donnent une réponse à une question, aident le vivant à renouer avec la vie... Ils n’agissent jamais de façon directe, mais influent, font ressentir, font entendre. D’ailleurs, les personnes qui partagent ces expériences parlent avec des « C’est comme si… ». 

Dans certains cas, les morts attendraient de la part des vivants de mener à bien certaines tâches d’accomplissement. « Prolonger une existence, et la prolonger autrement – n’est-ce pas cela, hériter ? ».

Ce qui est tout à fait intéressant, c’est que tout au long de son livre, elle ne prend jamais position.  Elle met de côté la question de la recherche de la vérité. « On ne prend pas position par rapport à l’existence ou non ». En Islande par exemple, lorsqu’un enfant dit qu’il y a quelqu’un dans sa chambre, on lui conseille de demander qui il est et ce qu’il veut, plutôt que de répondre « Mais non, il n’y a rien ». Paradoxalement, s’intéresser à cette présence met fin aux visites intempestives. 

C’est un livre dense, fouillé, qui bouscule les idées reçues et rend davantage curieux. 

Par: Geneviève Renglet, Psychologue de l’Association des Soins Palliatifs en Province de Namur
Les propos repris ci-dessus n'engagent la responsabilité que de l'auteur de cette critique.

Extrait

Les morts peuvent, par les questions qu’ils obligent à poser, activer ceux qui se rendent disponibles aux rencontres qu’ils suscitent. 

(…). 

Les morts font de ceux qui restent des fabricateurs de récits. Tout se met à bouger, signe que quelque chose, là, insuffle la vie 


Interview de V.Despret sur http://www.liberation.fr, en 2015
"Je n’utilise jamais le mot croyance. Quand on parle des croyances d’un peuple ou d’une personne, c’est que l’on sous-entend déjà que cette personne croit à des phénomènes dont on sait qu’ils n’existent pas. Cette relation aux morts constitue plutôt une façon de remettre en cause une des idées maîtresses de notre modernité selon laquelle nous vivrions dans un univers unique. Il s’agit plutôt de parvenir à envisager une pluralité d’univers, ou alors donner à notre univers des dimensions multiples que nous ne connaissons pas forcément."



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